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NPA 27 -  Eure

OLIVIER BESANCENOT

28 Novembre 2005 Publié dans #OLIVIER BESANCENOT

Le Point 17 novembre 2005


LCR - Olivier Besancenot : L’homme qui fait peur à la gauche


Le porte-parole de la LCR, qui a appelé à braver le couvre-feu dans les banlieues, n’a pas renoncé à changer le monde. A la veille du congrès du PS, portrait du véritable leader de la gauche de la gauche.

par Christophe Ono-dit-Biot


« C’est dégueulasse ! Là-dedans, il y a des cannibales, des violeurs, et même celui qui a tiré sur Chirac. A côté, Sainte-Anne, c’est la cour de récré, alors est-ce que c’est notre faute si on n’est pas assez nombreux ? » En cette matinée d’automne, l’hôpital psychiatrique Paul-Guiraud est sur les dents. Pendant que, à l’intérieur, cinq infirmiers défendent leur cas devant le conseil de discipline, leurs collègues grévistes sont rassemblés dans la cour autour de leurs leaders syndicaux. Il y a plusieurs semaines, un patient de l’unité Malades difficiles a fugué. Après avoir arraché à mains nues une porte-fenêtre et escaladé le mur d’enceinte avec l’aide d’un autre patient, il s’est retrouvé en pyjama dans le jardin mitoyen fréquenté par des enfants. Aidés par la police, les infirmiers sont parvenus à rattraper le psychopathe en vadrouille alors qu’il montait dans le bus, mais pour apprendre en rentrant qu’ils étaient accusés de « défaut de surveillance » par le directeur. Pour eux, c’est une injustice. Heureusement, voilà Besancenot.

Le nom a fusé comme une traînée de poudre parmi les blouses blanches. Encadré par trois trentenaires de la LCR, jean noir, sweat-shirt à capuche, il fend la foule et s’arrête au pied de l’estrade où s’époumone, en vain, un leader syndical que personne n’écoute. Tête baissée, Olivier attend son tour pendant que les infirmières le dévorent des yeux ou de l’objectif de leur appareil photo, et monte sur l’estrade en respirant un grand coup. La sono est mauvaise, mais sa voix est claire. En quelques phrases, il réveille l’auditoire et le vampe, évoquant la répression du gouvernement Villepin, la libéralisation à outrance et le dixième anniversaire des manifestations de l’hiver 1995. En quelques phrases, le combat des blouses rebelles de Villejuif est devenu national. Oubliez le postier, acclamez le leader !

Bonne bouille et boulot ad hoc.

Comment en est-il arrivé là ? Propulsé à 27 ans candidat de la LCR à la présidentielle de 2002, où il rafle 1 million de voix, relancé trois ans plus tard par le mouvement « noniste » au référendum, présent sur tous les fronts de la guerre sociale, de la SNCM aux émeutes de banlieue, Besancenot bénéficie aujourd’hui, à 32 ans à peine, d’une audience totalement disproportionnée par rapport à celle de son parti, dont le nombre d’adhérents culmine à 3 000. Entré début septembre au 38e rang des personnalités les plus aimées des français (classement Ifop-Le Journal du dimanche), il est d’ailleurs, avec Bernard Kouchner, la seule figure politique à y figurer. Et l’un de ceux, faut-il le rappeler, qui font le plus peur à la gauche. Son discours qui tranche, sa fameuse « bonne bouille » et son boulot ad hoc suffisent-ils à expliquer le succès de ce facteur dont la boîte aux lettres, disent ses amies, est « pleine de mots d’amour » ? Ou faut-il plutôt chercher dans son passé de militant pur et dur les raisons d’un succès politique ?

Car Besancenot - il suffit de s’asseoir deux minutes face à lui pour s’en apercevoir - n’a rien d’un rigolo. Et s’il paraît qu’il a beaucoup d’humour en privé, ce n’est pas du tout ce qui transparaît au premier abord chez cet « irrécupérable », comme il se définit lui-même. Dans le café arabe où il donne ses rendez-vous, au coeur du 18e arrondissement, où il vit, il expédie les phrases chocs avec une conviction désarçonnante : « La gauche se divise entre ceux qui veulent sortir de l’économie de marché et ceux qui s’en accommodent. Pour changer le monde avant qu’il ne nous écrase, on ne peut plus faire bisou bisou avec les actionnaires. Je ne suis pas réformiste, je suis révolutionnaire. » Semaine de 30 heures, défense et extension des services publics, droit à la santé gratuite et à l’éducation pour tous, mais aussi interdiction des licenciements, levée du secret bancaire, grève générale comme contre-pouvoir et autogestion socialiste des entreprises, voilà le programme. Autant dire qu’il n’a pas renoncé à l’idée d’une certaine violence pour rompre avec le capitalisme - il appelle ça l’« autodéfense » - et qu’il s’étonne qu’on s’en étonne. Parfaitement à l’unisson de son « coach », François Sabado (voir encadré), qui aime à prophétiser que « les révolutions se produisent quand les gentils facteurs deviennent radicaux ». Question de formation et de vécu, acquis en Normandie à la fin des années 80.

Louviers, 1988. Un élève de troisième pose sur le bureau de son professeur d’allemand le dossier qu’il vient de réaliser sur Saint-Just. Entre l’« Archange de la Terreur » et les déclinaisons allemandes, apparemment aucun rapport. Sauf pour le collégien, qui sait que ce professeur, animateur local et charismatique de SOS Racisme, dont l’adolescent porte fièrement au revers la petite main jaune, est aussi, accessoirement, membre de la Ligue communiste révolutionnaire. « Il voulait m’accrocher, explique aujourd’hui le professeur, Pierre Vandevoorde, qui ne tarit pas d’éloges sur cet adolescent espiègle. il se posait des questions, voulait agir vite. Après SOS Racisme, il cherchait quelque chose de plus radical sur la question des inégalités sociales. » Recruté par Vandevoorde, Olivier rejoint dès la classe de seconde les Jeunesses communistes révolutionnaires (l’organisation de jeunesse de la Ligue) et monte ses premières AG mégaphone à la main. Sur fond de hip-hop, l’apprenti révolutionnaire fait débrayer le lycée en réaction aux profanations de Carpentras, puis pendant la guerre du Golfe, et remplit des cars d’antiracistes pour les concerts de soutien à SOS Racisme. Aucun antécédent familial, pourtant, dans son appétit militant et tout-terrain. Son père est professeur de physique, sa mère psychologue scolaire, et Olivier vit dans un pavillon avec jardin. Au point de passer, aux yeux de son meilleur copain, Erim, pour un « petit-bourgeois ». D’origine kurde, Erim a un père ouvrier. Olivier n’aura de cesse de lui montrer qu’il est digne de son monde. C’est ça, l’histoire de Besancenot : celle d’un ado qui ne vient pas de la classe ouvrière mais qui, fasciné par la classe ouvrière, met les bouchées doubles pour y appartenir. De Renaud à Renault, dont le site de Cléon, à quelques kilomètres de Louviers, déclenche une grève de trois semaines en 1991. Olivier fréquente les piquets de grève et donne des cours de maths aux ouvriers qui, en retour, lui apprennent à coller des affiches. « il voulait en mettre partout, même sur celles des autres organisations de gauche. Je lui ai appris qu’il fallait les respecter », confie Gérard Prévaut, assembleur de boîtes de vitesses à Cléon, qui se souvient encore de la manie d’Olivier de chanter le répertoire révolutionnaire dans la voiture, en revenant des manifs. « Il était fasciné par les autodidactes qu’on lui faisait rencontrer, ajoute un autre ancien de la Ligue de Louviers. Notamment par un vieil antimilitariste qui avait fait du bagne, qui lui parlait de ses bagarres avec les Croix-de-Feu en 1934 et qui, pour lui, valait tous les Che Guevara ! »

Formation continue au militantisme.

A 18 ans à peine, le « petit-bourgeois » de Louviers s’est donc métamorphosé en petit militant. La suite est plus connue. Erim reste à Rouen, et lui s’inscrit en fac d’Histoire à Nanterre. Après en avoir occupé la tour pendant les grèves de 1995, monté une section CGT dans le Shopi où il décroche un petit boulot et une section SUD-PTT à la poste de Levallois, où il travaille depuis 1997, c’est sans surprise qu’il intègre, à 23 ans, le bureau politique de la LCR. « Le marxisme, il l’a eu à la petite cuiller sans s’en même rendre compte », explique Vandevoorde. « On a formé un leader », reconnaît fièrement Tonio, OS aux usines Wonder de Louviers.

Plus que sa bonne bouille et sa jeunesse, c’est donc de là que vient sa redoutable efficacité politique auprès des ménagères de gauche. Treize ans de militantisme en formation continue, ça marque son homme, même quand on n’en a que 30. Et les éléphants du PS ont beau ringardiser l’utopie de cette « taupe » (selon l’expression de Denis Pingaud), stigmatiser son « logiciel marxiste-léniniste des années 20 habillé sous des formes affriolantes » (Henri Weber), ou railler « le jeu politicien de ce révolutionnaire qui commence à s’imiter lui-même » (Jean-Christophe Cambadélis), il faut se rendre à l’évidence : ça cartonne. Dans un milieu où le métier s’apprend souvent en chambre ou en cabinet, Besancenot a l’avantage du terrain. Et bosse consciencieusement ses dossiers en ayant l’air, face à la caméra, d’être spontané et naturel. Son meilleur atout.

« Le meilleur de sa génération ».

On a souvent parlé du « marketing postal » inventé par Krivine. Et si le porte-parole historique de la Ligue avait, tout simplement, choisi le plus expérimenté, le plus radical, voire le « meilleur de sa génération », comme dit Sabado ? Au départ, pourtant, ce n’est pas au jeune facteur que les stratèges de la LCR avaient songé pour la présidentielle, mais à une jeune femme, incarnant la nouvelle génération de prolétaires précarisés, pour mieux ringardiser Arlette (Lutte ouvrière), qui vient de snober la Ligue en refusant sa proposition de candidature commune.

Malheureusement, ils sèchent, et ce n’est qu’ensuite qu’ils se tournent vers Besancenot, qui a pourtant le tort, à leurs yeux, d’appartenir à « Révolution », la tendance la plus radicale de la Ligue. « Un courant qu’on qualifiait, nous, de gauchiste », s’amuse François Sabado. Certes, mais ce « gauchiste » a pour lui l’avantage d’être altermondialiste, très tendance dans les années 2000, et surtout d’être facteur depuis 1997. Une profession traditionnellement vue par les Français comme l’un des liens sociaux les plus importants du pays, et d’ailleurs plutôt inattendue pour un licencié en Histoire qui « aime quand ça pète ». On comprend que pédaler défoule (c’est même un hobby très politique), mais pourquoi sous la casquette de la Poste, surtout quand on aime la boxe française, le hip-hop et la Commune de Paris ? « Je suis simplement atteint de ce que Dutreil appelle le "syndrome Besancenot" : vous êtes surqualifié, mais vous n’arrivez pas à trouver un boulot. J’ai vu de la lumière et je suis entré », se défend-il, balayant toute idée de stratégie lorsqu’on lui fait remarquer que non seulement il est postier, mais qu’en plus il l’est à Neuilly, fief droitier et symbolique s’il en est. « On aurait voulu le faire qu’on n’y serait pas arrivé ! » ajoute-t-il, oubliant de dire que c’est pourtant lui qui a demandé ce poste à son retour du Parlement européen de Strasbourg, où il était l’assistant parlementaire de Krivine. C’était en 2001, juste avant la présidentielle. Dans un café de Pantin, Sabado vend la mèche : « Pour faire de la politique, il faut un certain confort, et la sécurité de l’emploi y contribue. » On y est. Pour être révolutionnaire aujourd’hui, commencez par être fonctionnaire. Et, puisque la Ligue a toujours encouragé ses militants à aller là où se trouve la classe ouvrière et à défendre le service public, tout baigne. Olivier part en Guadeloupe pour réfléchir à la proposition présidentielle d’« A. K. », accepte le défi et négocie un temps de travail à 80 % pour rester disponible pour la cause. Résultat de l’opération : 4,25 % des voix. Comme une lettre à la poste.

Acclamé par des communistes !

Une sacrée réussite, donc, que ce leader élevé en plein air, et qui aujourd’hui a de l’or électoral entre les mains. « Voir les communistes acclamer quelqu’un de la LCR dans les meetings, je ne sais pas si vous vous rendez compte, mais c’est plutôt marrant quand on connaît l’histoire de la gauche », en rit encore Alain Krivine dans les bureaux de Rouge, le journal de la LCR. Au rez-de-chaussée, près des rotatives, un gigantesque calicot de Mai 68 représente une jeune femme lançant un pavé. Sous le pavé, le slogan : « La beauté n’a pas quitté la rue ». Rassurant, inspirant même. Comme Besancenot. « Avec lui, les gens qui ont une idée caricaturale du trotskisme n’en ont plus peur, ajoute celui qui, en son temps, fut aussi populaire que son élève. On bénéficie des retombées de sa popularité. Et si l’on doit présenter un candidat de la LCR à la présidentielle, on serait vraiment con d’en prendre un autre. »

Certes, mais en a-t-il encore envie ? Interrogé l’an dernier par la revue Contretemps, le porte-parole vedette de la LCR se laissait aller à la confidence sur ses « regrets » d’avoir « donné dans l’activisme étudiant comme un con ». « Il est exclu que la Ligue fasse avec moi ce que LO a fait avec Arlette », expliquait-il, ajoutant que, « dans [s]a génération, on demande à pouvoir vivre tranquillement sa vie sans que le parti se permette de la juger ». Coup de gueule ? Coup de spleen ? La vérité, c’est que le militant pur jus, qui partage depuis deux ans la vie d’une jolie éditrice qui lui a donné un petit garçon, est en train d’évoluer politiquement. D’abord, il milite de plus en plus de ses propres ailes, notamment au sein du collectif Devoirs de mémoires (voir ci-contre) fondé avec son ami rappeur Joey Starr, et l’écologiste Stéphane Pocrain, ex-chroniqueur chez Ruquier. Ensuite, il est en train de faire évoluer la Ligue en y apportant le débat sur l’« individualisme », qu’il ne veut pas laisser à la droite, tout en essayant de lui faire abandonner ses références au trotskisme (« Je ne me revendique trotskiste que face à un stalinien », a-t-il l’habitude de dire). Une sacrée révolution qui pourrait faire de lui un candidat redoutable et « 100 % à gauche » en 2007, si du moins ce « grand parti à gauche de la gauche » que les « nonistes » veulent construire devient réalité, et s’ils ne lui préfèrent pas un notable du PC ou un chevalier blanc comme Bové ou Aguiton.

Fougue révolutionnaire.

Mais qu’on ne se méprenne pas. A en croire ses amis, le « meilleur de sa génération » a toujours autant de rêves dans la tête, et sa soif de « changer le monde », y compris par la révolution, est intacte. Ce qu’il confirmait d’ailleurs le 20 octobre, dans le lobby très design de l’hôtel Hilton de la rue de Courcelles. Son nouveau QG ? Non, mais la base arrière du président Chavez pendant sa visite en France. Flanqué d’Alain Krivine et de militants du Cercle bolivarien, Olivier, qui avait rendez-vous en tête à tête avec le nouveau messie rouge, semblait avoir retrouvé sa fougue révolutionnaire. « Chavez, c’est la preuve qu’un autre monde est possible en dehors du capitalisme », confiait-il, piaffant d’impatience en s’engouffrant dans l’ascenseur présidentiel. Il avait raison, Olivier. Pour une fois, c’est vrai, la révolution était au bout du couloir.

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