NUPES: ENTRE FORMIDABLE ÉLAN ET LIMITES DÉJÀ PERCEPTIBLES, EST-CE L'OUTIL POUR S'ORGANISER ET LUTTER?
Nous sommes entrés dans une nouvelle phase de recomposition de la gauche.
Les scores de Mélenchon sont sans appel. Il s’agit d’un vote de gauche avec 50, 55 voire 60 % de voix dans les quartiers populaires et un soutien massif, gagné par les positionnements contre Macron et l’extrême droite, les mots d’ordre sociaux et un discours renouvelé contre le racisme et l’islamophobie. Des dizaines de milliers de personnes se mettent à agir et on fera tout pour que ça continue.
Un courant en rupture avec les gestions passées du capitalisme
Même si nous n’observons pas un soulèvement de millions de personnes, nous devons tenir compte de de la dynamique enclenchée dans le pays et analyser la situation marquée par la montée de l’extrême droite et du danger fasciste, la politique ultra-libérale et autoritaire de Macron et la faiblesse des mobilisations sociales.
Le capitalisme n'a plus les marges de manœuvre qui permettaient de redistribuer des miettes. Surtout avec les centaines de milliards investis pendant la crise sanitaire pour éviter le naufrage économique.
L’hostilité des éditorialistes bourgeois montre que la classe dominante ne souhaite pas intégrer Mélenchon et la NUPES à la gestion de ses affaires.
La tentative d’accord entre le NPA et la NUPES
C’est dans ce contexte que le NPA a souhaité un accord avec l’Union populaire. Pour accompagner la reconstruction à gauche qui s’opère par le vote Mélenchon.
Il s’agit pour nous d’aider à la victoire d’une gauche recomposée, même si certains éléments ont participé à la gestion du capitalisme, d'accompagner cet élan nouveau, nous lier à un milieu très large qui veut peser sur la situation, changer le rapport de forces et imposer des revendications sociales et prolonger la dynamique dans les luttes.
Hélas l’accord n’a pas pu se faire avec le NPA car la direction de l’UP a privilégié un accord avec le PS. Nous avions interprété cette formule comme une volonté de conquérir la majorité à l’Assemblée, ce avec quoi nous étions d’accord.
L’acceptation du cadre du système
Le programme de l’UP a été bâti sur la base des discussions au sein de groupes de travail, par des intellectuels, des syndicalistes, des chercheurs, des militants, mais pas discutés et votés par l'ensemble des adhérent.es de l'UP. L'Union populaire est un programme construit par le haut.
Le slogan « Mélenchon Premier ministre » vise à conserver la dynamique électorale de la présidentielle. Mais il revendique une continuité entre la fonction présidentielle, hautement antidémocratique, et la recherche d’une majorité parlementaire, effaçant au passage les critiques subversives de la Ve République inscrite dans le programme de Mélenchon autour de la VIe République. Exit la suppression de la fonction présidentielle, la proportionnelle intégrale, etc.
Au fond, la transformation de l’UP en NUPES, sous pression des enjeux des législatives et de la volonté d’être crédibles dans ces élections, correspond à une acceptation du cadre institutionnel de la Ve République.
Le rapport de la NUPES aux luttes sociales:
L’Union populaire a réussi à fédérer une grande partie des militantEs des dernières luttes significatives : des figures des grèves de TUI, de l’Ibis Batignolles, de la RATP par exemple, qui avaient pourtant créé dans l’action des liens avec l’extrême gauche. La plupart des intellectuels de la gauche radicale ont également rejoint les rangs de l’UP, contribuant d’ailleurs à sa solidité programmatique.
Mais, en pratique, ce sont naturellement les couches supérieures qui dominent le Parlement de l’UP : enseignantEs, éluEs, permanents politiques ou syndicaux, car la place des travailleurs/ses du bas de l’échelle est mécaniquement réduite par la faiblesse des luttes sociales, et qu’ils et elles doivent faire face à l’impossibilité de libérer du temps pour s’investir dans les discussions stratégiques.
Cette tendance est renforcée par la méthode de constitution des candidatures pour les élections législatives : l’appareil naissant a dû donner une place aux figures militantes qui se sont investies dans les présidentielles, qui animent les structures et aspirent à avoir une place à l’Assemblée nationale. Ainsi, la NUPES n’échappe pas à la tendance habituelle de parachuter des figures dans des circonscriptions populaires, facilement gagnables, indépendamment d’équipes militantes qui pourraient exister. La caricature est encore plus forte quand les candidatures sont issues du Parti socialiste, voire des recyclages du macronisme.
Au point que des ruptures avec les engagments affichés de l'UP s’opèrent. Comme avec le collectif « On s’en mêle », qui constate que la place des candidatures et équipes militantes issues des quartiers populaires a été fortement réduite.1
Les rapports aux militantEs issuEs des luttes sont donc contradictoires : d’un côté la NUPES se nourrit des luttes, leur donne la parole et est une occasion de donner confiance aux classes populaires pour en créer, de l’autre elle absorbe certainEs, en écarte d’autres, ce qui renvoie à la capacité de la démocratie bourgeoise,à faire entrer la contestation dans les institutions pour la sortir de la rue.
Les institutions limitent la NUPES sur deux fronts
Le premier est ainsi l’absorption de milliers de personnes dans la gestion quotidienne : les députéEs, les attachéEs parlementaires après les conseillers régionaux ou départementaux, les maires, les conseillerEs municipaux, sont autant de militantEs détachéEs de leur milieu, de leurs attaches collectives et de leurs combats. La radicalité attirée dans les institutions risque de s’y noyer.
Le second est l’entrée dans la danse du Parti socialiste et d’Europe Écologie Les Verts, qui a modifié la dynamique de la coalition électorale, son équilibre global. Les éluEs du PS et d’une grande partie des Verts constituent une force incontournable au sein de la NUPES, d’autant qu’ils sont les plus rodés à l’exercice. C’est le nombre de circonscriptions données au PS qui a provoqué concrètement la rupture des négociations entre le NPA et l’UP : tout pouvait se discuter en termes programmatiques à partir du moment où nous conservions notre indépendance, on pouvait également fortement rogner sur le nombre de circonscriptions qui nous était proposé. Mais proposer 70 circonscriptions au PS et 100 à EELV signifiait offrir un tiers des places aux courants sociaux-libéraux, les plus intégrés au capitalisme et à la gestion des affaires, non seulement par le passé dans les gouvernements de Jospin et Hollande, mais aussi aujourd’hui dans de multiples collectivités locales. Donner autant de circonscriptions au PS, c’était garantir à ce parti des postes à son aile la plus droitière.
Un gouvernement NUPES serait directement sous pression de ces courants sans lesquels il n’y aurait pas de majorité parlementaire, et par le biais de ministres. L’intégration de la droite du PS à la coalition est comme un nœud coulant que l’UP a enroulé autour de son propre cou pour l’empêcher de mener son programme à terme. Comment désobéir à l’Union européenne en partageant le pouvoir avec le PS ? Comment contrôler les hauts fonctionnaires et l’appareil de répression en ayant avec soi un courant qui est autant lié aux politiques libérales et répressives de ces dernières décennies ?
Peser sur la crise qui s’annonce
Les résultats possibles dans ces élections législatives sont multiples. Le plus probable est que Macron acquière une majorité pour continuer sa politique de destruction. La moins probable est que la NUPES obtienne la majorité, même si on ne peut pas écarter cette possibilité du fait de la dynamique militante , quand l’extrême droite semble ralentie par la défaite de la présidentielle et Macron en difficulté pour constituer un nouveau gouvernement. Une troisième étant une configuration inédite où il n’y aurait pas de majorité à l’assemblée. La pression serait alors maximale sur les éluEs PS et EELV de la NUPES pour constituer un gouvernement d’Union nationale avec Macron sous la pression de l’extrême droite. En tout cas, des évènements importants se produiront dans les prochains mois, la polarisation entre les trois blocs – l’extrême droite, la gauche recomposée et le bonapartisme de Macron – étant la représentation d’une instabilité croissante de la situation et du fait que des conflits aigus se préparent.
Pour nous, la victoire de la gauche serait un élément important pour aiguiser les contradictions de la situation et accélérer les clarifications. Si LREM gagne, Macron démarrera sa politique de casse sociale. Alors que si la NUPES venait à gagner, ou au moins à empêcher Macron d’obtenir une majorité à l’Assemblée, l’initiative politique serait déplacée dans le sens des classes populaires – l’extrême droite et la bourgeoisie s’en retrouveraient désorientées.
Philippe Poutou est la deuxième personnalité la plus appréciée par les électeurs de gauche derrière Jean-Luc Mélenchon2… même si son score a été de 0,77 % à l’élection présidentielle. Poutou à l'assemblée ? Ca aurait eu un sens politique !
Mener les batailles politiques
Nous conservons notre programme de rupture. Nous avons réussi à expliquer à une échelle large, pourquoi la NUPES n'a pas voulu nous intégrer. Il n’a jamais été question de proposer une circonscription gagnable à Philippe Poutou car l’UP ne veut pas que s’exprime une politique trop différente de celle de sa direction. C’est pour des raisons similaires que le collectif « On s’en mêle » n’a pas été intégré, parce que l’UP voulait rogner son indépendance politique. Les milieux militants ont compris que le programme avait été rogné, particulièrement sur les retraites avec le renforcement de l’ambiguïté sur la possibilité de décotes dans le cadre de la retraite à 60 ans, sur le SMIC (même si Mélenchon a ensuite unilatéralement remonté le curseur à 1 500 euros…), sur le positionnement vis-à-vis de l’Union européenne.
Cette bataille ayant été perdue, le NPA a décidé de soutenir les candidatures de la NUPES là où elles sont en rupture avec le libéralisme, et de tenter de construire des candidatures alternatives là où elles ne le sont pas.
La participation à des campagnes NUPES se combine avec quelques points sur lesquels nous pouvons marquer notre différence sans tirer en arrière la dynamique. Nous refusons toute dérive sur les fonctions régaliennes, en étant particulièrement attentifs à ce qui s’exprime sur la police, l’armée, les frontières et l’impérialisme. En particulier, nous défendons la régularisation des sans-papiers, le droit de vote des immigréEs. Nous défendons également une campagne démocratique, dont le contenu ne doit pas être décidé par les candidatEs et leur directeur/rice de campagne, mais par des cadres collectifs associant le plus grand nombre. De plus, nous insistons sur la nécessité de construire les luttes sociales et pour que les collectifs militants construits dans la campagne soient capables de se convertir en outils de lutte après la campagne, particulièrement pour la défense des retraites et les salaires. Enfin, nous insistons sur les mesures radicales à prendre pour sortir de la crise écologique majeure.
Le NPA présente des listes alternatives dans une dizaine de circonscriptions, en particulier contre des candidatures NUPES issues du Parti socialiste, d’EELV… voire de LREM. Les équipes sont comprises, souvent soutenues plus ou moins discrètement par des militantEs LFI ou PCF. Notre boussole dans cette activité est la défense de revendications qui posent le problème de l’action, du contrôle des travailleurs/ses sur le capital, de l’indépendance vis-à-vis des institutions, des mesures sociales et écologiques transitoires nécessaires, dans l'immédiat.
Militer pour faire évoluer les consciences
La phase de recomposition de la gauche ne fait que commencer. Toutes les questions vont se poser pour des dizaines, voire des centaines de milliers de militantEs : la défense du climat, de la biodiversité, la façon d'habiter la planète qui n'en peut plus de l'exploitation de ses ressources, la lutte contre toute forme de domination et d'oppression, contre le fascisme, pour bâtir un projet émancipateur de sortie du capitalisme, l'urgence ne permet pas les demi-mesures.
Le parti dont nous avons besoin dans la prochaine période doit être prêt à se plonger dans l’action, avec un programme de rupture avec le système mais aussi pour dialoguer Le NPA a pu le faire avec la campagne Poutou ou pendant les négociations avec la NUPES, il faut réussir à le faire dans la configuration actuelle, on transformant en force militante les idées
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1.Mathilde Goanec, « Dans la société mobilisée, l’union à gauche fait aussi des perdants », Médiapart, 5 mai 2022.
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2.Baromètre ELABE pour Les Échos et Radio classique, 5 mai 2022.